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Moscou, l’ancienne capitale de Marx

Cathédrale de Saint-Basile-le-Bienheureux

Partir, c’est toujours un vertige, c’est à la fois grisant et stressant. Partir, c’est comme entrer en scène; c’est comme être dans les coulisses quelques secondes avant un spectacle. Une fois sur les planches, je sais que je serai en sécurité, mais le moment juste avant de faire le saut est toujours un moment difficile. Une fois en scène, je sais que le mouvement tiendra en équilibre les forces qui sont en jeu dans mon corps et dans mon esprit : les rencontres et les moments de grâce accompagneront maintenant la peur et les appréhensions.

Partir, c’est aussi s’offrir une autre vie, le temps d’un voyage. En Russie.

C’est la première chose que l’on me demandait, chez moi, avant de partir, et maintenant que l’on me demande, à l’étranger : « Pourquoi la Russie? Et pourquoi à vélo!? »

C’est vrai que la Russie a toujours occupé une place ambivalente dans mon imaginaire, un curieux mélange de fascination et de crainte. Ayant grandi dans les années 80, j’ai vécu la dernière époque de la Guerre froide où l’URSS et les États-Unis luttaient ouvertement afin d’étendre leurs idéologies respectives, et donc leur pouvoir d’action. La menace nucléaire était toujours présente quand j’étais jeune. Je me souviens d’avoir été terrifié à la suite du visionnement d’un documentaire qui montrait comment se protéger de l’explosion d’une bombe nucléaire. Il n’y avait pas beaucoup d’espoir de survie… Quand j’étais enfant, les Russes, c’étaient ceux qu’il fallait battre, à la guerre comme au hockey! Ils étaient puissants et terrifiants. Le cinéma a évidemment contribué à construire cette image avec des personnages souvent caricaturaux. Ivan Drago, l’adversaire de Rocky dans le quatrième opus, est surement le plus flamboyant exemple : doué d’une force incroyable, mais froid et sans cœur. Finalement, la Russie, c’est surtout pour moi le pays qui a fait la révolution socialiste en octobre 1917 : Lénine, Staline et Trotsky. Des rêves d’égalité qui se sont par contre transformés en cauchemars par la suite avec les purges, les déportations en Sibérie et le Goulag. Les images au téléjournal du régime socialiste avec ses files d’attente interminables devant des magasins vides et ces gens habillés avec des vêtements ternes a l’air triste sont aussi celles que je garde en mémoire.

Tentant, n’est-ce pas?

Alors, pourquoi parcourir une partie de cet immense pays avec des images aussi sombres que celles-ci? J’avoue avoir un faible pour les voyages impossibles, pour les pays que l’on ne visite pas spontanément, comme Israël et la Palestine, que j’avais parcourus en 2016. Mais puisque ce sont les pays qui ont forgé mon imaginaire, donc la personne que je suis, c’est ceux qui m’attirent.

En partant ainsi, je veux peut-être aussi prouver aux autres que le monde n’est pas aussi dangereux qu’on le croit, ou que l’on veut nous le faire croire.

Mais il y a quoi d’autre, pourquoi faisons-nous les choses que nous faisons, surtout quand elles sortent de l’ordinaire? Par besoin de reconnaissance, pour être unique? Il y a de tout ça, c’est sûr. Mais pour prouver quoi quand l’aventure est risquée comme celle de ce voyage à vélo en solitaire? Probablement pour vivre intensément, pour me sentir vivant. Apprivoiser la solitude, être loin de tous ceux que j’aime, avec le strict minimum, et être bien, c’est apprendre à mourir. À 20 ans, je n’ai pas été poète; à 40 ans, je serai philosophe!

Peinture à la Nouvelle Galerie Tretyakov

Mon voyage commence par la capitale, Moscou, la plus grande ville du pays et d’Europe. Mes premières impressions sont décevantes. Tout dépend des attentes, et elles étaient grandes. Car je m’attendais à trouver autre chose que ce que je connaissais déjà : je suis à la recherche d’autres valeurs que celles véhiculées par la société de consommation. La révolution socialiste n’est plus qu’un vestige finalement, et l’hypothèse de la fin de l’histoire a ici son argument le plus convaincant.

La rue Tverskaya, sur laquelle se trouve mon auberge, est celle des grands magasins de luxe; au pied de mon auberge, en face de la place Pouchkine, se trouve un McDonald’s, mais pas n’importe lequel, le premier de Russie, ouvert le 31 janvier 1990 à la veille de la chute de l’Union soviétique et où 30 000 personnes ont été servies durant cette journée d’ouverture. Parce qu’il fallait entendre l’employée de mon auberge expliquer comment la venue de ce restaurant annonçait les temps nouveaux de la Post-Soviétie et comment tout le monde était heureux! Je la comprends, c’était la fin probable des pénuries, mais je suis déçu que le plus grand coup de markéting du XXe siècle soit la compagnie McDonald’s qui l’ait réalisé en associant liberté et Big Mac dans un tel contexte. Mais comme disait une journaliste qui couvrait l’évènement à l’époque, c’est vrai que les Russes ont maintenant « le plaisir unique de manger comme tous les autres peuples de la terre. » Il y a aussi un détail qui me surprend et m’agace : les teeshirts que les gens portent sont pour la plupart affublés de slogan écrit en anglais, mais peu de personnes parlent cette langue. Les marques américaines sont celles que les Moscovites portent, le « Just Do It » de Nike est partout. Je comprends aussi, mais… Le comble, pendant trois soirs d’affilés, un groupe chante à tue-tête dans la rue des chansons de Nirvana. Le « teen spirit » sent la marchandise.

C’est peut-être ça, la liberté…

Place des Cathédrales

La ville est très belle malgré tout. La démesure la caractérise. De larges boulevards de huit voies, des palais immenses et fastes comme le Grand palais du Kremlin, des églises à coupoles comme l’exubérante cathédrale de Saint-Basile-le-Bienheureux, des statues monumentales comme celle de saint Vladimir, un grand prince du Xe siècle, inaugurée en 2016 par Poutine et le patriarche Cyrille, le chef de l’Église orthodoxe russe, ou la ridicule statue de Pierre le Grand d’une hauteur de près de 100 mètres. Il y a aussi les édifices staliniens comme l'Université d'État de Moscou. Gigantesque.

Toutes mes photos sont en contreplongée. Contrairement à chez moi, la ligne est verticale ici : autorité, grandeur, soumission, respect des règles (on traverse au feu vert, même s’il n’y a pas de voiture; on respecte scrupuleusement les passages piétonniers). Chez moi, la ligne est celle de l’horizon. Je ne sais pas si ça signifie autant communauté et égalité que je pourrais l’espérer, mais je sais que cela fait une différence.

Université d'État de Moscou

Moscou est jeune, l’âge médian est de 40 ans et 70 % de la population a entre 15 et 64 ans. Le taux de natalité a bondi depuis 2010 grâce à une politique nataliste lancée par le gouvernement. On se marie très tôt en Russie et de très jeunes femmes marchent dans les rues de la ville avec leurs poussettes. Les filles portent des robes de couleur unie et voyante ou sinon c’est la minijupe. Pour les garçons, je ne sais pas, je n’ai malheureusement pas remarqué… Tout le monde est blanc à Moscou, pas de minorités visibles; Gaspé est plus multiculturelle que cette mégalopole! La religion semble être importante aussi : au musée, devant les images saintes du Moyen-Âge, plusieurs Russes faisaient des signes de dévotion. Depuis que Poutine est au pouvoir, la religion a repris sa place auprès du pouvoir et des masses.

Lénine au Parc des statues

En Russie, on ne se gêne pas pour réécrire l’histoire. Le passé est douloureux, souvent honteux. Après la chute de l’Union soviétique en 1991, plusieurs des statues représentant les leadeurs du Parti communiste ont été déboulonnées et mises au placard, c’est-à-dire au Parc des statues. On marche ainsi à travers des héros déchus qui n’avaient autrefois qu’une seule dimension; aujourd’hui, ils ont plus de profondeur, on a mis sous la lumière toute leur part d’ombre et les horreurs qu’ils ont fait subir au peuple russe. Et ces horreurs, elles font aussi dans la démesure.

J’ai aussi fait la queue pendant une heure trente pour aller voir la dépouille de Lénine, qui n’a pas pris une ride depuis sa mort en 1924, soit dit en passant! Il a été embaumé selon un procédé spécial qui ne permet ni pourrissement ni dessèchement. Il est là, comme en 1924. Troublant.

Tombe de Staline

Staline, qui a déjà été le coloc de Lénine dans ce mausolée, en a été retiré en 1961 par Khrouchtchev, durant la période de déstalinisation. Il est maintenant dans le petit cimetière derrière le mausolée avec d’autres dirigeants soviétiques. Seul le premier leadeur de l’Union soviétique a encore droit à un culte.

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